Fin de la revue Frontières

Il y a plusieurs mois nous annoncions la fin des Éditions du Nexus et la survie, bien que fragile, de la web-revue Frontières.

Aujourd’hui, c’est donc sans très grande surprise que je vous informe de la fin de celle-ci.

Nous l’avions commencée pleins de bonne volonté, mais surtout pleins de temps libre. Les mois passant, les desseins personnels des uns et des autres s’intensifiant, nous avons pris plus de liberté et, contre notre gré, grignoté peu à peu sur le temps dédié à Frontières. Entre projets, boulots, reprise d’études, nous avons préféré y mettre un terme, par respect pour les lecteurs, mais aussi parce que nous ne pouvions plus respecter le rythme que la bonne tenue de la revue nous imposait.

C’est un « truc entre copains » qui se termine, et c’est toujours triste de voir un projet, aussi minime soit-il, disparaître. Toutefois, il se termine en quelque sorte de la meilleure des manières.

En effet, nous avions lancé il y a plusieurs mois un appel à textes autour du thème Usurpation d’Identité, et beaucoup de nouvelles nous sont parvenues. Si nous avons déjà pris beaucoup de temps pour le gérer, nous mettrons tout en œuvre pour proposer les meilleures nouvelles à la lecture ! Ensuite nous tournerons la page Frontières.

La fin de la revue est aussi pour moi l’occasion de porter à la connaissance de ceux qui n’en auraient pas entendu parler, un projet de financement participatif initié par la très bonne librairie parisienne Scylla, qui développe une partie édition.

Il s’agit ici de financer l’édition de deux livres : Roche-Nuée de Garry Kilworth (réédition de Denoël, 1989) et Il faudrait pour grandir oublier la frontière de Sébastien Juillard, cofondateur de Frontières et ami. Les livres sont beaux et bien écrits, aussi je vous propose d’aller faire un tour à l’adresse ci-dessous pour vous informer et, éventuellement, participer au financement.

http://editions.scylla.fr/financement/lancement-editions-scylla

Finalement, une telle fin n’en est pas vraiment une sans remerciements. Aussi, je tenais à remercier les cofondateurs de la revue David, Michaël, Thibaud et bien évidemment Sébastien, mais également ceux qui nous ont aidés à chaque numéro, Phil Becker, Gromovar et la plus agréable, la plus professionnelle des correctrices, Pascale Doré, sans qui la revue n’aurait clairement pas pris la même tournure. Au plaisir de te retrouver sous d’autres latitudes, Pascale !

Merci aussi à vous, lecteurs assidus ou de passage, pour votre soutien, votre patience et vos remarques.

Quentin Debard

Du nouveau autour de Frontières !

Il y a du changement autour de la revue. L’association Les Éditions du Nexus qui soutenait le projet va être dissoute dans les jours à venir. Toutefois, la revue ne disparaît pas pour autant !

Pour plus de lisibilité, nous allons également clore cette adresse et vous pourrez nous retrouver à celle-ci :

larevue.frontieres[at]yahoo.fr

Nous allons toutefois conserver, au moins un temps, le même site internet, et bien évidemment, la page Facebook.

Quant au fonctionnement, rien de ne change, la revue reste la même, le sommaire aussi.

En ce qui concerne les services de presse, n’ayant plus d’adresse de gestion de l’association, je souhaitais vous faire part de notre désir de ne pas nous envoyer d’autres œuvres que celles que nous aurions préalablement demandées. Nous vous préciserons, le cas échéant, l’adresse à laquelle nous les faire parvenir.

Finalement, toute l’équipe de Frontières se joint à moi pour vous remercier de votre soutien et de l’intérêt que vous avez porté à la revue et aux membres à l’œuvre depuis sa création, et nous espérons que cela continuera.

Mise à jour « Fictions »

La nouvelle de Cédric Harmali, intitulée Sous le lac et parue dans Frontières#2, est désormais disponible en colonne de droite sous son petit bandeau cliquable.

« Charles Socle vivait dans une vieille baraque au fond des bois, seul avec son chien : une usine à râles baptisée Calcutta, un soir de mélancolie. Depuis longtemps, le vieil homme ne comptait plus ses années d’exil. Les choses de la mémoire ne l’intéressaient plus, et ses souvenirs, si peu consommés, ressemblaient à ces antiques statues rongées par l’usure.
D’ailleurs, c’est grâce à cette exceptionnelle aisance pour l’oubli que le vieillard prétendait s’endormir, chaque soir, dans le plus pur des silences.
Cette quiétude, Socle la préservait en se rendant le moins possible au village : hameau spectral étendu à la lisière de la forêt. De fait, l’homme connaissait bien les âmes fourbes qui grouillent dans les campagnes reculées. Comme tant d’autres avant lui, il avait été soumis à ces jugements irrévocables murmurés au coin de l’église, ou encore à ces nébuleuses prophéties macérées dans le vin chaud.
Dans ces minuscules pays – qui s’entourent généralement de champs labourés et de frontières mortes – la peur rivait les corps dans les sillons ocre des terres. La nuit tombée, les distilleries remplissaient les panses d’aigreurs, vidaient les discours de sens, et enfonçaient les têtes et les cœurs dans la certitude. Le monde se réduisait souvent aux limites barbelées des enclos à vaches. Ainsi, les granges et les bœufs étaient à l’abri, tout comme la couenne épaisse des esprits. »

Thème // Appel à textes

Nous parlions lors de la sortie de Frontières #4 de proposer désormais un thème encadrant l’écriture des nouvelles que nous publierons.

Pourquoi ?

Premièrement, nous pensons que cela permettra de stimuler l’écriture des personnes qui n’avaient pas de textes sous la main. De plus, c’est une bonne façon de créer une cohérence au sein des prochains numéros de Frontières.

Finalement, c’est aussi, pour nous, l’opportunité de sélectionner plus rapidement les textes que nous recevrons. Textes qui, nous l’espérons seront nombreux, cela va sans dire.

Trêve de bavardages, le thème retenu est donc : L’usurpation d’identité.

Soyez rassurés, nous vous laissons le temps de plancher dessus, aussi, nous fermerons cet appel dans 6 mois. Rendez-vous le 15 septembre !

La longueur des nouvelles doit se rapprocher de 35.000 signes. Bien sûr, si un texte dépasse un peu ou est un peu en dessous, cela ne pose aucun problème.

Quant au genre de la nouvelle, il n’est volontairement pas défini, c’est à vous de nous surprendre et de faire en sorte que le thème trouve une résonance dans un univers qui vous sera familier.

Bien sûr, toutes vos questions et soumissions (de nouvelles, évidemment) doivent nous être adressées par mail.

A l’inverse, toutes vos réclamations doivent se faire auprès de notre permanence : bar Don Gambino à Rive-de-Gier, demandez « Johnny one teeth », il saura très probablement vous renseigner (n’oubliez pas de lui donner votre adresse postale).

A bientôt !

Les nouvelles parues dans Frontières disponibles sur le site…

à raison d’une tous les quinze jours.

Vous pourrez donc lire (ou relire) les nouvelles découvertes dans les précédents numéros de la revue, au format pdf, téléchargeables à volonté. On commence avec Inculture d’Hugo Ferrante, une histoire d’ordures en tous genres et de fascination pour le livre et le savoir dans un univers rongé par la pollution. Ça se passe en colonne de droite (>>>>>) et, comme d’habitude, il suffit de cliquer sur le petit bandeau.

Bonne lecture !

Frontières #4

Le voilà le numéro 4 de Frontières !

Il nous aura fallu du temps et rassembler pas mal d’énergie mais nous n’avons pas abandonné. Inutile de vous dire que nous ne suivons pas un quelconque planning, puisqu’il nous est difficile de nous y tenir, mais le numéro rassemble encore une fois tout notre intérêt et toute notre passion pour cette littérature de l’imaginaire, rien n’a changé donc.

Gageons que nous serons plus ponctuels pour Frontières 5ème du nom, puisque nous ne comptons pas nous arrêter en chemin.

Nouveauté pour ce futur numéro et probablement les prochains: nous allons procéder à un appel à texte autour d’un thème prédéfini, que nous communiquerons le plus rapidement possible via le site et Facebook. Si nous devons nous concerter avant toute décision, une chose est sûre, nous éviterons les sujet du type « les dragons » ou « les fées », sans discrimination aucune, tout simplement car ces sujets trop réducteurs ne nous intéressent pas en tant que tels. Nous tâcherons donc de viser plus large.

Toute contribution en matière de chroniques est une fois encore la bienvenue.  Nous en profitons d’ailleurs pour remercier une fois de plus Marcelline Perrard pour nous avoir confié sa chronique d’Andrus Kivirähk et lui souhaitons bienvenue au sein de l’équipe des chroniqueurs.

Finalement, à la demande de certains lecteurs, deux versions du numéro 4 de Frontières sont disponibles : un PDF interactif s’affichant en double page, et un PDF page par page, plus simple à utiliser sur tablette. Toutefois, sur cette dernière version, vous le verrez, la BD passe mal, le découpage fut un petit casse-tête vite abandonné. Côté bédé justement, Huxley Dust est un peu remonté, on le comprend, mais ne le prenez pas personnellement, il rôde encore parfois parmi nous, au coin d’une table, un crayon sur l’oreille, une gomme dans la poche et l’œil aiguisé comme jamais.

Avant de vous souhaiter une bonne lecture et de vous donner rendez-vous au prochain numéro, je voudrais saluer la vaillance des libraires de la librairie Chapitre Les Volcans. Cela fait plusieurs mois qu’on les balade au gré d’infos plus ou moins utiles, plus ou moins vérifiées, plus ou moins concédées. Le but n’est pas de cracher sur les choix d’une direction flageolante, peut-être un peu peureuse face à sa force de vente et qui semble avoir perdu toute notion de ce que représente une librairie (vous savez où vont les rats quand le navire coule : au café du coin, en parachute argenté). Le but n’est pas non plus de critiquer les modes de fonctionnement des groupes comme Actissia ou le fond d’investissement  Najafi Companies, mais davantage de souhaiter, suite au dépôt de la SCOP des salariés, énormément de courage pour les quelques jours restant.

T.,  ce numéro t’est donc dédié.

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Tadjélé – Récits d’exil // Léo Henry et Jacques Mucchielli

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Dans la lignée de Yama Loka Terminus et Bara Yogoï, Tadjélé, récits d’exil est, sans doute possible, le meilleur des trois titres inspirés par l’énigmatique cité d’Yirminadingrad. Pour cet opus, le duo prodigue Henry-Muchielli s’est même adjoint le remarquable Laurent Kloetzer (Cleer, Anamnèse de Lady Star) en guise de guest, sans qu’il soit possible pour tout autre lecteur qu’un familier de H et M de deviner les joints dans la maçonnerie.

Tadjélé est une évocation. Celle, bouleversante, du déracinement. Des hommes et des femmes traversent ces lignes en fantômes échappés des ruines de leur ville, jetés sur les routes du monde, seuls souvent, à deux ou trois parfois, sans pouvoir partager leur souffrance. Les personnages de Tadjélé sont des survivants certes, mais à qui manque la force de l’espoir. Tous sont noircis par un désir morbide. Incapables de s’inscrire dans le monde, ils dépérissent loin des yeux. Ce qu’il reste d’eux est chair grise et fumée d’âme. Tous ont en partage une mémoire qui leur pèse et les empêche d’être. Même à l’autre bout du monde, la ville les rattrape et leur fuite semble ne pas leur offrir d’issue. Il y en a pourtant pour se battre encore, afin que soient reconnus leurs droits ou la vérité de leurs souffrances, tel Maalik, le leader de l’ethnie des Yirmizenès, ou encore la tragique Veronika, l’icône rongée par un mal hideux. On soupçonne dans chaque histoire contée la dimension d’un génocide qui ne s’arrête pas à l’élimination physique et pousse sa logique jusqu’à l’effacement, jusqu’à l’oblitération.

Et Yirminadingrad ? La ville qui fut le berceau d’une culture syncrétique entre deux peuples et deux croyances est mourante, mutilée par les bombes dans un conflit aux origines incertaines que les gouvernements responsables du massacre ont su passer sous silence. Un crime si bien effacé du siècle que l’opinion publique en ignore tout désormais. Yirminadingrad déchirée par les guerres civiles, les changements de régimes, avec leur lot d’épurations ethniques, d’expériences secrètes… La ville n’est plus au cœur des récits, mais son spectre hante pourtant les destins incertains de ses exilés. C’est à travers leurs souvenirs qu’elle nous apparaît alors, lointaine, presque hors du temps. Les auteurs entretiennent un flou autour de son devenir. Tout juste sait-on que, frappée par un événement catastrophique, L’Accident, la ville martyre est prisonnière derrière des murs de silence imposés par ses dirigeants. Ceux qui ont fui parlent, se souviennent, cauchemardent. Le lecteur, lui, s’essaye à en esquisser l’histoire. Mais Yirminadingrad a-t-elle vraiment jamais existé ? N’est-ce pas la force du mythe qui lui permet de se répandre ainsi hors de ses frontières, d’obséder l’esprit, de pénétrer le rêve ?

Absente, la cité des bords de la mer Noire n’en continue pas moins à distiller un poison subtil tout au long des dix-neuf très beaux textes au sommaire. Tadjélé est le recueil de nouvelles le plus abouti, le plus cohérent et le plus riche que j’ai eu entre les mains depuis fort longtemps. Porté par une écriture d’une grande exigence, qui a su s’imposer nombre d’audaces formelles sans trébucher, Tadjélé pourrait bien être, à mon sens, le meilleur d’Henry et Mucchielli, la forme achevée et intimidante d’une aventure littéraire qu’on aurait aimée sans fin. On pourra longtemps s’épuiser en interprétations, faire parler les symboles, lier les faits, traquer les références. Ou simplement se laisser porter par ses mélancolies.

«  Tu te souviens, quand nous avons écrit notre premier roman ? Je me dis que, depuis toujours, nous n’avons jamais parlé que de la même chose : la guerre civile comme métaphore de notre angoisse d’être séparés à mort. Je… Tu as entendu ?

Oui… Tu penses qu’ils vont faire ça proprement ?

Ça m’étonnerait.

Tu as peur ?

Non, et toi ?

Je ne sais pas. »

Frontières #3

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Frontières #3 voit enfin le jour après une gestation bien trop longue, plus difficile encore que d’habitude, et ce pour tout un tas de raisons. Nous garderons pourtant derrière le rideau la machinerie brinquebalante de notre sympathique aventure : inutile de vous ennuyer avec des histoires de rouages grippés et de poulies récalcitrantes puisqu’au final, le décor apparaît enfin. Place aux artistes !

Avec Le Passager Clandestin, éditeur de combat et sa collection « vintage » et intelligente de novellas SF : Les Dyschroniques

Estelle Faye évoque pour nous son premier roman, Porcelaine, petite perle aux reflets de conte chinois. On a aimé.

On cause aussi avec Pascal Doré-Sadoul, notre tant aimée lectrice-correctrice (qui ne compte heureusement pas sur nous pour vivre). Elle nous raconte son métier : grandes joies et petites frustrations, heurs et malheurs.

Vous retrouverez bien sûr les chroniques, en nombre suffisant.

Deux nouvelles signées Phil Becker (L’amiral nu) et Marie-Catherine Daniel (Sensibilité maximum).

Huxley Dust de mauvais poil…

Et tout le reste…

Bonne lecture !

Descendre en marche // Jeff Noon

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Marlene avait une fille, mais elle est morte.

Marlene avait une vie. Elle était journaliste. Marlene Moore

Mais voilà qu’aujourd’hui elle promène son spleen sur les routes d’Angleterre, en compagnie de Peacock et Henderson, un couple aussi fragile qu’improbable. Dans leur voiture fatiguée, le trio se traîne, las, de villes anonymes en villes anonymes, à la recherche des fragments dispersés d’un miroir, pour le compte d’un homme bizarre nommé Kingsley. Étonnante quête dans un pays terrorisé par le Bruit, le virus qui ronge les mots et noie le sens. Partout, les livres s’effacent, les panneaux se brouillent, les radios crachent du parasite. Et les miroirs dans lesquels on n’ose plus regarder… Tout fout le camp.

Oubliez la réalité, elle tremble. Elle est comme l’air surchauffé au-dessus du bitume, elle se déforme et laisse le chaos la pénétrer de toutes parts. Les hommes s’effondrent. Nombreux sont ceux qui succombent au Bruit, qui deviennent chairs creuses, tandis que les autres luttent aussi longtemps que possible à coups de Lucy, la drogue qui permet de garder l’œil encore un peu ouvert, qui ouvre des fenêtres, non pas vers l’artifice et l’illusoire, mais vers le réel.

Dans ce décor gris où la folie s’étale, Marlene est un personnage au bord de l’asphyxie à qui Noon réussit à conférer une fragilité qui n’a rien de convenu. Mater dolorosa à la grâce incertaine, elle oscille entre le vide émotionnel et son amour pour sa fille disparue, que le Bruit efface. Pour lutter contre cette perte, elle tient un journal dans lequel elle accumule les souvenirs avant qu’ils ne finissent tous par ne plus vouloir rien dire. Pathétique urgence à fixer le réel. Peacock, Henderson, Marlene. Ces paumés si chers à l’auteur britannique, et qui errent dans un univers qui paraît tomber en déliquescence au fur et à mesure de leur trip vers le Sud.

Le personnage de Tupelo, qui vient s’ajouter au trio, semble par sa seule présence conditionner la survie du groupe dont on sent à tout moment qu’il peut éclater. Tupelo lie les trois questeurs du miroir et leur apporte un peu de sa fausse légèreté. Immunisée naturellement au Bruit, elle s’impose, malgré la défiance d’Henderson. Elle cause, pose les questions qu’il faut : Pourquoi ? Où ? Qui ? Elle force ses compagnons de galère à se rappeler ce qu’ils sont et ce qu’ils font.

La narration de Noon double cette impression d’égarement. Elle sinue avec lenteur, et donne comme ses personnages l’impression de filer vers un but incertain. Les scènes sans liens tangibles se succèdent, déroutantes parfois, mais si belles pour certaines. On pense forcément à la visite de Marlène et Tupelo dans ce Musée des Choses Fragiles :

Une fois de plus, j’ai dû m’arrêter. Voir ainsi les mots disparaître de la page, ça n’inspirait qu’une tristesse.

« Je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas.

– C’est beau, a dit Tupelo.

– Non.

– Il faudrait que tous les livres soient comme ceux-ci. J’en ai vu un à la fac. L’histoire, fragile, détruite par l’acte de lecture. C’est comme… c’est comme le plus parfait amour, un amour qu’on ne saisit qu’un instant, tu sais, et qu’on perd pour toujours. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Je n’ai pas pu répondre.

« Marlene, un jour tous les livres de cette salle seront blancs. Vides. Ils seront emplis de vide.

– Où vont les mots ?

Assez loin des audaces qui ont fait sa réputation d’auteur qui ose (Vurt, NymphoRmation…), Jeff Noon livre ici son titre le plus « accessible ». Derrière l’esquisse hallucinée d’une humanité malade du langage, privée du support des mots, et qui, de fait, ne parvient plus à conserver au monde son sens, se cache, plus humblement, le portrait assez touchant d’une mère qui refuse d’oublier sa fille. Rien d’extraordinaire, mais l’ensemble est juste. Noon interroge donc notre rapport à l’information, mais sans révolutionner pour autant le discours, préoccupé davantage par la forme, où sa patte se fait nettement sentir. Les chapitres présentent ainsi des longueurs très hétérogènes, certains d’une brièveté déconcertante, s’achevant sur des impasses, des incertitudes. Les dialogues laissent parfois une impression étrange. Et la poésie est partout, elle porte tous les masques, se loge dans les coins du récit. Noon laisse d’ailleurs de côté les expérimentations stylistiques les plus audacieuses et, si son écriture perd de sa fougue, elle gagne en fluidité. Elle fait montre d’un peu plus de pudeur.

Descendre en marche est sans doute un bon roman, peut-être pas le plus original de son auteur, pas le plus ébouriffant non plus, mais il séduit par son atmosphère mélancolique. Et ses nombreuses autres qualités suffisent à en faire un objet littéraire très recommandable.

Blade Runner // Philip K. Dick

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Commençons par évacuer l’inévitable référence au long-métrage de Ridley Scott, qui partage finalement assez peu de choses avec le roman de Philip K. Dick. Du seul point de vue de l’intrigue les divergences sont nombreuses, et Scott se contente de récupérer le personnage de Rick Deckard et celui de Rachael tout en modifiant notablement leur profil. C’est davantage sur le plan thématique qu’il faut chercher des points communs entre les deux œuvres, mais ça n’est pas là l’objet de cette chronique, qui saluera d’abord la parution chez Nouveaux Millénaires d’une traduction flambant neuve de ce titre essentiel de Dick qu’est Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques (1968). Ou Blade Runner, anciennement Robot Blues, selon les éditions et les éditeurs et les faveurs du vent. Dans le cas de cette nouvelle édition, Blade Runner, donc

L’histoire ? Rick Deckard est un flic de San Francisco spécialisé dans la chasse aux androïdes. Dans ce proche futur d’après-guerre, ces derniers constituent la main-d’œuvre corvéable à merci d’une humanité qui colonise le système solaire afin d’échapper aux retombées radioactives qui noircissent la Terre. Soldats ou objets de plaisir, les basses besognes sont le lot de ces esclaves de série, privés de toute dignité. Interdits de séjour sur notre planète, ils sont même impitoyablement « réformés » lorsqu’ils s’y aventurent.

Sur notre monde flétri par les bombes, leurs maîtres humains vivent de ternes existences et, comme frappés d’apathie, s’en remettent à des machines pour programmer leurs humeurs. C’est en Wilbur Mercer que beaucoup cherchent une vérité supérieure et l’assurance qu’ils sont encore en vie, émotionnellement parlant. Wilbur Mercer, un prophète étrange qui n’en finit pas de graver une colline et d’y être lapidé. Religion de substitution, le mercerisme se vit à travers un dispositif nommé boîte à empathie qui permet de fusionner physiquement et spirituellement avec le grand homme et de vivre son calvaire éternel. Autre objet de culte : les animaux. Artificiels, leur possession est un signe extérieur d’aisance sociale. Authentiques, ils représentent une fortune. Et pour cause : une immense majorité d’entre eux a été rayée de la surface du globe.

C’est pour s’offrir de quoi remplacer son vieux mouton électrique par un vrai que Rick Deckard se lance sur les traces d’une poignée d’androïdes de dernière génération fabriqués par la société Rosen : les Nexus-6. Avec une grosse prime à la clef, la motivation est toute trouvée.

Blade Runner n’est pas son adaptation cinématographique, nous l’avons dit. Il s’agit d’abord l’un des plus grands romans de Dick, qui met ici en tension quelques-uns de ses thèmes essentiels : entropie du réel, manipulation de ce dernier, fluctuation de l’identité, l’homme face à son simulacre… Deckard finit par douter de sa nature : humain ou machine ? Alors même que les androïdes se voient refuser toute humanité par leurs créateurs, qui les jugent incapables d’émotions, ces derniers ont recours à des orgues d’humeur pour lutter contre leur léthargie émotionnelle. Ils s’émeuvent du sort de leurs animaux artificiels quand celui des androïdes leur est égal. Troublant paradoxe que ces humains qui se programment et déconsidèrent leurs simulacres programmés. C’est à travers lui qu’apparaît toute l’absurdité de cet ostracisme dont sont victimes les Nexus-6, alors que, jamais auparavant la créature n’avait semblé si proche de son créateur.

Le personnage de Deckard, envahi par le doute au fil des pages, concentre toutes ces questions. Victime d’une mise en scène perverse dans un commissariat (passage résolument dickien où la réel révèle ses rouages), il commence d’abord par interroger l’authenticité de ce qu’il vit puis découvre la gêne que lui inspire le retrait de l’un des androïdes. Cette gêne finit par susciter un sentiment d’incompréhension : les actes de Deckard lui deviennent étrangers. Un rien de compassion, de pitié peut-être, suffit à lézarder sa psyché. Que devient le vieux chasseur de primes, alors même que Phil Resch, un autre blade runner, manifeste un froid détachement à l’égard de ses victimes ? Troublé, Deckard va jusqu’à s’imposer un test de Voigt-Kampff, celui qu’il utilise d’habitude pour déterminer si un suspect est bien un androïde.

Les protagonistes de Blade Runner sont des gens froids, agressifs, calculateurs, soumis à des affects artificiels et incapables, semble-t-il, de ressentir quoi que ce soit sans l’aide de leur orgue d’humeur. Qu’est-ce que c’est qu’être humain si le critère de l’empathie ne suffit plus à distinguer la machine du vivant ? Si l’homme perd cette capacité à ressentir, comment le test Voigt-Kampff pourrait-il affirmer quoi que ce soit qui fut certain ? Si la mémoire peut-être manipulée si aisément comment être sûr de la sienne ? Dick tisse comme à son habitude ces questions fondamentales, dans un roman dont il semble difficile d’épuiser la matière spéculative. Beau et noir, traversé par toutes les obsessions de son auteur sur le réel et l’identité, Blade Runner réclame une lecture plein phare pour ne pas se perdre tout à fait dans le jeu des questions qui émergent au fil des pages, qui communiquent au lecteur une sourde angoisse, et suscitent des interprétations dont on n’est plus certain après un temps qu’elles ne soient pas fausses. Le signe, assurément, d’une œuvre stimulante et définitivement fascinante.