Alpha Directions // Jens Harder

Alpha, première lettre de l’alphabet, premier volume d’un triptyque qui s’annonce détonnant. Le passé, le présent et le futur. Voici l’histoire de l’Histoire du monde. Le sous-titre au pluriel suggère au lecteur tous ces chemins qui se sont présentés au monde et qu’il n’a pas pris ou, au contraire, emprunté pour devenir celui que nous connaissons..

Un point qui devient masse, qui enfle et qui explose. Le Big-Bang, puis l’univers, les pulsars, les naines blanches, les galaxies… notre galaxie, la voie lactée. Tout se forme, tout se transforme, les premières cellules, les premiers organismes, les premières plantes, les premiers êtres. Puis les générations innombrables. Nous sommes ici au cœur de quelque chose de grandiose, témoins de notre propre évolution au long de millions d’années.

« Il me tenait à cœur de réfléchir sur le temps, ce mode intangible de la quatrième dimension, dont on ne saurait mieux se rapprocher qu’avec un médium basé sur une succession d’images comme la bande dessinée, même si représenter plus de 14 milliards d’années en à peine 350 pages relève de la plaisanterie » explique ainsi Jens Harder. Nous avons en effet affaire à une sacrée belle plaisanterie : des chapitres découpés selon des dominantes de couleur pour un ouvrage qui s’ouvre sur une monographie orangée et se referme sur cette même couleur. Ce mouvement symboliserait-il le cycle évolutionnaire qu’a subi notre planète pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui ? Entre glaciations, déplacements des terres du Nord au Sud, le chemin est long, mais éblouissant.

Tout est ici question de cycles, de recommencements, de pionniers.

Nous parlions de symbolisme : Jens Harder insère entre ses dessins beaucoup d’icônes religieuses, d’illustrations originales ou non (dans ce dernier cas redessinées, témoins du travail colossal de l’auteur), contemporaines et qui font écho à une Terre telle qu’elle était des millions d’années auparavant. Pour autant, il ne faut pas voir ici une quelconque envie d’édifier le lecteur, mais bien plutôt une volonté de mettre en évidence la résonance des idées, des croyances et des représentations de l’époque face au « réel ». Nous assistons à une succession d’images, soulignées parfois d’une phrase lorsqu’elles ne se laissent pas appréhender d’elles-mêmes. L’ouvrage aurait peut-être pris une tournure tout aussi intéressante en demeurant « muet », mais le choix de l’auteur est respectable et fait pencher l’ensemble vers la vulgarisation scientifique.

La fin est annoncée par une image forte, celle d’un hominidé jetant une arme sur sa proie. Cette scène n’est que le reflet de la lente évolution suivie par les êtres vivants jusqu’alors. Petit à petit, les premiers animaux se sont armés, se sont fortifiés. Pour survivre. « C’est le début d’une course à l’armement sans fin. Carapaces et épines contre griffes et dents« .

Et cette image vient briser la poésie qui nous transportait jusqu’ici. En tout cas, jusqu’au prochain tome, Beta, Civilisations, prévu pour 2013.

Jens Harder nous sert ici davantage un documentaire qu’une BD traditionnelle, utilisant le langage de l’image plutôt que celui des mots. L’histoire n’est-elle pas faite ainsi ?

Dans mon cas, celle que je garde dans la tête, tout là-haut, en est remplie.

Q.D.