La nouvelle de Cédric Harmali, intitulée Sous le lac et parue dans Frontières#2, est désormais disponible en colonne de droite sous son petit bandeau cliquable.
« Charles Socle vivait dans une vieille baraque au fond des bois, seul avec son chien : une usine à râles baptisée Calcutta, un soir de mélancolie. Depuis longtemps, le vieil homme ne comptait plus ses années d’exil. Les choses de la mémoire ne l’intéressaient plus, et ses souvenirs, si peu consommés, ressemblaient à ces antiques statues rongées par l’usure.
D’ailleurs, c’est grâce à cette exceptionnelle aisance pour l’oubli que le vieillard prétendait s’endormir, chaque soir, dans le plus pur des silences.
Cette quiétude, Socle la préservait en se rendant le moins possible au village : hameau spectral étendu à la lisière de la forêt. De fait, l’homme connaissait bien les âmes fourbes qui grouillent dans les campagnes reculées. Comme tant d’autres avant lui, il avait été soumis à ces jugements irrévocables murmurés au coin de l’église, ou encore à ces nébuleuses prophéties macérées dans le vin chaud.
Dans ces minuscules pays – qui s’entourent généralement de champs labourés et de frontières mortes – la peur rivait les corps dans les sillons ocre des terres. La nuit tombée, les distilleries remplissaient les panses d’aigreurs, vidaient les discours de sens, et enfonçaient les têtes et les cœurs dans la certitude. Le monde se réduisait souvent aux limites barbelées des enclos à vaches. Ainsi, les granges et les bœufs étaient à l’abri, tout comme la couenne épaisse des esprits. »